Aujourd'hui, un très long article mais il était impossible de parler du sujet en faisant plus court.
Non il ne s'agit pas du taffata, désignant un morceau de toile tissée en soie mais bien d'un traité qui est en train de se négocier sans que les médias tout public en parle abondament.
Et pourtant, s'il abouti tel qu'il est parti, cela pourrait bien avoir des impacts sur notre vie quotidienne et notre liberté quant à nos choix en terme de santé.
Merci aux talents de synthèse de Barbara Agneray, une Naturopathe engagée, et au collectif Stoptafta - Lyon pour ce texte clair et éclairant !
On vous explique ?
Bonjour Barbara, peux-tu nous dire qui tu es ?
Bonjour Carole,
Je m'appelle Barbara, j'ai 28 ans. Après des études de Droit, j'ai travaillé plusieurs années à l'étranger dans des ONG dans des projets sanitaires et alimentaires, avant de m'installer à Lyon où j'habite depuis 2 ans.
J'ai entendu parler du TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement) en mai 2013. Je venais de m'installer à Lyon et j'avais rejoint le groupe local des Colibris ( mouvement citoyen crée par Pierre Rabhi). Lors de l'une de nos réunions, nous avons évoqué la thématique des OGM – organismes génétiquement modifiés –, chacun s’est proposé pour mener des recherches, et j’ai choisi d’orienter les miennes autour de la législation.
C'est ainsi que je suis tombée sur des articles mentionnant ce traité transatlantique de libre échange, mais dont il semblait impossible d'en connaître véritablement le contenu. Il régnait autour de ce sujet une telle opacité médiatique que cela m'a intriguée et poussée à me renseigner plus en profondeur.
Grâce aux révélations de Mediapart courant 2013, il a été possible de se procurer des extraits de ce traité, mais qui restaient presqu' impossibles à comprendre pour une personne lambda telle que moi, non habituée au langage technique et souvent élitiste lié à la sphère économique.
C'est donc par l'intermédiaire de plusieurs économistes de renom ( Raoul-Marc Jennar, Frederic Lordon etc) et de journaux tels que le Monde Diplomatique, que peu à peu j'ai pu réaliser l'importance de ce traité, et l'ampleur des conséquences à venir s'il venait à être signé.
Alors c'est quoi le TAFTA ?
Plusieurs dénominations désignent ce projet de « grand marché transatlantique », qu’elles soient anglophones (TAFTA - Trans Atlantic Free Trade agreement ; TTIP - Transatlantic Trade and Investment Partnership) ou francophones (PTCI - Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement). Ces nombreuses appellations ont tendance d'ailleurs à « égarer » les personnes souhaitant s'informer, alors qu'elles désignent toutes un même traité !
Techniquement, cet accord de libre-échange et d’investissement vise à libéraliser encore davantage les échanges commerciaux entre les États unis et l’Union européenne en démantelant les droits de douane et en s’attaquant aux normes et régulations.
Cela signifie que ce traité vise l'harmonisation des règles et normes entre pays européens et Etats Unis, pour faciliter le commerce, jusqu'ici « entravé » par les différentes législations. Ainsi, si les deux continents ont les mêmes normes de commerce, les échanges commerciaux pourront se faire de manière plus simple et plus libre. L'intention en soi n'est pas répréhensible, elle reste dans le cadre de notre système capitaliste de libre échange appliqué dans les pays occidentaux.
Excepté que ce traité concerne des secteurs qui nous sont vitaux en terme de sécurité sanitaire, environnementale et alimentaire, entre autres.
Ainsi, les normes sanitaires dans la production et la transformation de produits alimentaires, sont très différentes aux Etats Unis et en France. Par exemple, le principe de précaution français interdit de laver les poulets aux chlore avant de les commercialiser pour être consommés. Ce n'est pas le cas aux Etats Unis.
L'image ci-dessous récapitule quelques exemples de différences entre Etats Unis et France pour les produits autorisés dans le domaine alimentaire.
Il ne s'agit pas ici de faire de « l'anti américanisme », car les personnes souhaitant la mise en place de ce traité ne sont pas les peuples américains ou européens, mais bien les grandes entreprises multinationales implantées à la fois aux Etats Unis et en Europe, et qui ont d’ailleurs une place de choix pour donner leur avis dans les négociations de cet accord de libre-échange, étant les premiers bénéficiaires.
Parmi ces entreprises on notera par exemple la désormais tristement célèbre firme Monsanto, connue notamment pour la production de l’Agent Orange (produit hautement chimique déversé au Vietnam, provoquant un désastre sanitaire et humain), pour la production de semences OGM partout dans le monde et pour la mise sur le marché du RoundUp, herbicide reconnu depuis peu comme hautement cancérigène.
Etant donné que la plupart des normes de régulation commerciale entre Etats Unis et Europe sont différentes, ce traité vise à les mettre au même niveau. Cela ne poserait pas de problème si la mise à niveau se faisait par le haut, empêchant alors toutes les entreprises de chlorer les poulets pour reprendre le même exemple cité plus haut. Cependant, ce n'est pas ce qui ressort de ce traité, qui tend au contraire à se montrer plus « flexible » sur ces normes alimentaires, supprimant ainsi les lois françaises et européennes mises en place à l'origine pour protéger les citoyens des toxicités liées aux pesticides, OGM et herbicides.
En ce qui concerne les secteurs de la santé publique, des normes de privatisation sont envisagées dans ce traité, permettant ainsi aux organismes privés de faire de la libre concurrence aux hôpitaux publics et à la Sécurité Sociale.
Il est important de mesurer la portée de cette notion de libre concurrence, qui signifie qu'aucune initiative, organisme, association, entreprise ne pourra recevoir de subvention ou soutien de l’État, sans que toutes les autres dans le même secteur en bénéficie également. Ceci afin de ne pas « privilégier » une entreprise en particulier, et donc pour ne pas entraver le droit à la libre concurrence.
Cependant, des petites entreprises d'artisanat, de producteurs agricoles ou encore certains organismes telles que les AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne – qui permettent un lien direct entre producteur et consommateur grâce aux paniers hebdomadaires de légumes) ne pourront donc plus bénéficier d'aide régionales ou étatiques pour démarrer ou s'agrandir, car cela impliquerait que la même somme soit alors versée aux grands distributeurs alimentaires ou aux agriculteurs d'immenses parcelles alors même que ces deux parties n'ont pas les mêmes problématiques en terme de financement.
En cherchant à tout prix à appliquer cette libre concurrence, le risque est d'oublier le système d'équité entre personnes et entre entreprises, basé sur leur taille et capacité.
Une des clauses posant également problème aux citoyens européens est l'article 45 du TAFTA, spécifiant que « l'accord comprendra un mécanisme approprié de règlement des différends qui garantira que les parties respectent les règles dont elles sont convenues. »
Ce mécanisme est souvent apparenté à un tribunal pouvant rendre justice lors de conflits opposant Etats et multinationales. Mais cela n’est pas vraiment un tribunal dans les faits car il n'est pas constitué de juges impartiaux mais bien d'avocats d'affaire avec le pouvoir de trancher en faveur de l'une ou l'autre des parties, pouvant amener des entreprises multinationales à gagner des procès contre les Etats pour leur demander des dommages et intérêts !
Cette idée seule peut paraître absurde… Or, ce type de « tribunal » existe déjà dans de nombreux accords tels que l'ALENA ( Etats Unis – Mexique) ou l'AUSFTA ( Etats Unis - Australie), et de nombreux procès ont déjà eu lieu dans lesquels les multinationales ont pu réclamer des dommages et intérêts aux pays pour les cas de manque à gagner sur un de leur produit.
Un exemple marquant est le procès intenté par Philip Morris contre l'Etat australien, car ce dernier avait mis en place, dans le cadre d'une norme de santé, des paquets de cigarette « témoins » c'est à dire sans marque apparente, afin de dissuader les consommateurs de tabac d'en acheter. La multinationale Philip Morris a donc attaqué l’État australien pour non respect des règles de libre concurrence qui lui provoquait un manque à gagner car les consommateurs ne pouvaient plus acheter le tabac de leur marque. Ainsi, des millions de dollars ont été réclamés à l’État australien, qui après délibération du « tribunal » de règlement des différents en sa défaveur, a été condamnée à payer ce tribut à Philip Morris...
Des exemples comme ce dernier se comptent désormais par centaines dans le cadre des autres traités, et continueront à se multiplier si le TAFTA est signé, car il s’agit d’ un traité concernant tous les secteurs de notre vie quotidienne : alimentaire, agricole, artisanat, liberté des données, établissement publiques de santé etc..
Il reste à souligner qu'aucune consultation des peuples n’a eu lieu sur l’opportunité de débuter ces négociations. Au contraire, les citoyens sont tenus à l’écart de discussions se déroulant dans la plus stricte confidentialité entre une poignée de négociateurs, experts non-élus et lobbyistes invités.
Les économistes et citoyens ayant soulevé le sujet comme problématique sont régulièrement taxés de « complotistes » alors que leurs actions est la définition même de l'anti-complotisme car ces personnes visent la transparence des informations et non leur opacité.
Aujourd'hui, le sujet commence à emerger un peu plus dans les médias ce qui permet d'avoir une meilleure « légitimité » à en discuter. Je n'hésite pas à sortir l'exemplaire du Monde Diplomatique –dernier hors-série Manière de Voir- qui décrit les traités existants et le projet de TAFTA, quand on me dit qu'il est impossible en Europe de voir de tels traités adoptés.
Au vue de ce que tu viens de nous apprendre, si on veut agir, que peut-on faire ?
Il y a plein de choses à faire si on souhaite s'investir même juste un peu dans cette thématique !
Une des premières choses qui n'engage à rien peut être de suivre les informations données par les collectifs citoyens stop tafta, et d'assister pourquoi pas à une de leur réunion ou journée d'information pour se faire une idée de leurs actions et du rôle que l'on souhaite adopter.
En effet, des collectifs locaux baptisés « stoptafta » se sont crée un peu partout en France (141 à ce jour) et des communes ont commencé à se déclarer « zone hors Tafta » c'est à dire symboliquement contre ce traité ( 445 collectivités, dont Grenoble ).
C'est en discutant avec d'autres membres du groupe Colibris que nous avons décidé de monter un collectif à Lyon, une des plus grandes villes françaises, afin de démarrer une sensibilisation à notre échelle des citoyens à ce sujet.
Courant 2013, une belle aventure a alors démarré, une aventure collective car notre première action a été de contacter toutes les associations et partis présents à Lyon afin de leur proposer de monter ce collectif ensemble.
Le collectif citoyen Stop Tafta Lyon regroupe aujourd'hui plus de 20 associations, collectifs et partis. Nous avons décidé ensemble d'être a-partite c'est à dire de ne pas être représenté par une association ou un organisme en particulier, nous restons un collectif citoyen, pas une association, constitué de bénévoles uniquement.
Notre but n'est pas de convaincre que le TAFTA sera mauvais pour notre économie et quotidien, mais d'informer les citoyens de l'existence de ce traité et de ces modalités. Trop de personnes renoncent à comprendre le système économique international car il est souvent obscur ; les discussions entre experts économistes à la télévision restent pour la plupart difficilement compréhensibles sans maîtriser leur vocabulaire technique. (cf. – Les imposteurs de l'économie – Laurent Mauduit).
Or, il est primordial que chaque citoyen comprenne comment notre système économique fonctionne, car nous en faisons tous partie intégrante. Et comme dans chaque système, nous avons des devoirs certes, mais également des droits, dont le droit d'être informés des décisions de nos gouvernements, surtout lorsqu'il s'agit de mesures destinées à bouleverser notre quotidien.
Le collectif lyonnais stoptafta s'inscrit donc dans une logique d'information des citoyens par les citoyens.
Depuis notre création fin 2013, de nombreuses conférences ont pu être données par des bénévoles formés, dans des librairies, centres sociaux, universités, mairies, bars, locaux associatifs etc. Nous organisons également des journées d'informations sur des grandes places à Lyon, la dernière était place Sathonay le 18 Avril où plusieurs centaines de personnes ont transité afin d'écouter des conférences en extérieur et dans la mairie du 1er, et pour discuter autour du thème du TAFTA.
La mairie du 1er arrondissement de Lyon s'est d'ailleurs déclarée « zone hors tafta » après plusieurs rencontres entre notre collectif et la mairie.
Il n'y a pas de pré requis pour faire partie du collectif stoptafta lyon, nous avons tous des profils très différents, ce qui fait également notre richesse. Nous essayons d’alterner pour nous occuper du site internet, de la boite mail et de l'organisation des événements car cela représente beaucoup de travail.
Combien êtes-vous dans ce collectif ?
Nous sommes une vingtaine d'actifs, c'est à dire présents régulièrement aux réunions et dans l'organisation des activités, une cinquantaine d'actifs ponctuels, et environ 500 personnes inscrites à notre mailing list et 700 nous suivant sur facebook.
Chaque personne peut proposer une idée, on en débat ensemble de manière souvent informelle en réunion, puis la personne peut choisir de mener cette action ou de la déléguer à quelqu'un d'autre.
Nous avons besoin de bénévoles actifs même ponctuellement, pour que le collectif puisse répondre présent à toutes les invitations de conférence, journées d'info etc.
La prochaine action sera notre présence au Village de la Solidarité Internationale du 13 au 15 novembre à Lyon, bienvenue à ceux qui souhaitent nous aider, nous rencontrer et échanger !
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